Paris Observatory
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La première éruption solaire à particules relativistes du nouveau cycle d'activité

L'activité du Soleil suit un cycle d'environ 11 ans, marqué par le nombre de taches solaires et le nombre d'éruptions. Nous sommes, à l'automne 2021, dans la montée d'un nouveau cycle, environ deux ans après le dernier minimum d'activité (décembre 2019). Le 28 octobre, une éruption assez forte a été observée par les instruments de surveillance en rayons X des satellites GOES de la NOAA (USA). De telles éruptions sont en général accompagnées de particules de haute énergie – protons et noyaux atomiques plus lourds – qui s'échappent dans l'espace interplanétaire et peuvent être détectées par des sondes spatiales. Les satellites GOES, en orbites géostationnaires, ont effectivement observé un accroissement du flux des protons à des énergies au-dessus de 10 MeV (megaelectronvolt, la vitesse d'un proton de 10 MeV est 14% de la vitesse de la lumière) qui persiste pendant plusieurs jours. L'accroissement était néanmoins assez faible. Il est d'autant plus étonnant que ce même évènement ait été un des rares à pouvoir accélérer des protons à des énergies cent fois plus élevées, qu'on appelle relativistes parce que les vitesses des protons s'approchent de celle de la lumière. Ces protons relativistes ont été détectés par des instruments sur Terre, appelés des moniteurs à neutrons.

Les moniteurs à neutrons sont des instruments qui détectent le rayonnement cosmique, majoritairement composé de proton relativistes venant de l'Univers. Quand ils impactent l'atmosphère de la Terre, ces protons cassent les noyaux atomiques et produisent des particules secondaires, dont des neutrons. D'autres neutrons sont créés dans l'instrument lui-même, et comptés. Une cinquantaine de moniteurs à neutrons sont repartis sur la surface de la Terre, dont deux sont sous responsabilité française: les instruments des Iles Kerguelen et de Terre Adélie (Antarctique). Ils sont hébergés par l'Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV) et les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) et opérés conjointement avec l'Observatoire de Paris. Vous trouverez plus d'informations sur les moniteurs à neutrons et les rayons cosmiques sur le site NMDB et dans un article du rapport d'activité 2015-16 de l'IPEV .



L'évènement du 28 octobre 2021

Les particules accélérées au Soleil se propagent le long du champ magnétique interplanétaire et rencontrent la Terre si la géométrie du champ magnétique le permet. Tandis que des particules sont couramment accélérées au Soleil lors des éruptions, leur énergie n'atteint que très rarement la valeur d'environ 450 MeV requise pour déclencher des réactions nucléaires dans la basse atmosphère de la Terre et être détectables au sol. 72 évènements de ce type ont été observés entre 1942 et 2017, celui du 28 octobre 2021 est le 73ème. Les particules solaires détectables par des instruments comme les moniteurs à neutrons sont les plus énergétiques que le Soleil puisse produire, et la question de savoir comment le Soleil y parvient constitue leur intérêt scientifique. La réponse est sans doute liée à la force des champs magnétiques dans les couches externes du Soleil, sa couronne. Nous essayons de percer ce secret en nous servant de détecteurs de particules sur des satellites et, pour les énergies les plus élevées, des détecteurs au sol comme les moniteurs à neutrons. Le nouveau cycle d'activité est particulièrement intéressant à cet égard, puisque les sondes Parker Solar Probe (NASA) et Solar Orbiter (ESA-NASA) observent des particules jusqu'à environ 100 MeV près du Soleil. La combinaison des observations spatiales et terrestres nous offrira une meilleure compréhension de l'accélération des particules et de leur propagation interplanétaire.


L'évènement à particules du 28 octobre accompagnait une éruption solaire qui a été observée en rayons X de 15:17 à 15:48 TU/temps universel (17:17-17:48 heure française). Cette éruption a eu lieu dans un groupe de taches de l'hémisphère sud du Soleil, près du méridien central, montré dans l'image ci-dessus prise par le Spectrohéliographe de l'Observatoire de Meudon (le groupe de taches est encadré par le rectangle rouge dans la figure ci-dessus). Le radio spectrographe solaire ORFEES à la station de Nançay (Departement du Cher) a observé un grand sursaut à partir de 15:25 TU.



Les enregistrements d'un grand nombre de moniteurs à neutrons (base de données www.nmdb.eu) sont reproduits dans les deux figures ci-dessus: la figure du haut montre la signature des particules allant jusqu'à une énergie d'environ 1300 MeV, la figure du bas la signature des particules plus énergétiques. On voit un accroissement de quelques pourcents du taux de comptage dans la figure du haut, sans contrepartie dans la figure du bas. Cette différence montre que le Soleil n'a pas accéléré des particules au-delà d'environ 1300 MeV. L'étude plus détaillée précisera cette limite. L'accroissement du taux de comptage démarre vers 15:50 TU, ce qui montre la relation de ces protons avec l'éruption solaire – on s'attend en effet à voir des protons qui se propagent à 75% de la vitesse de la lumière arriver à la Terre environ 5 minutes après les ondes radio. Cette évaluation grossière correspond bien à une accélération des particules dans la couronne solaire pendant le sursaut radio observé à Nançay.



Particules de haute énergie et météorologie de l'espace

Hormis pour la recherche fondamentale, où la proximité du Soleil offre à l'astrophysique des possibilités d'études détaillées des processus physiques comme l'accélération de particules, la surveillance des particules de haute énergie est un enjeu de météorologie de l'espace: les particules de haute énergie déclenchant des réactions nucléaires dans l'atmosphère terrestre constituent une dose d'irradiation pour le personnel de l'aviation civile. Cette dose vient surtout du bombardement permanent de la Terre par le rayonnement cosmique qui provient de notre Galaxie, notamment des explosions de supernovae. Les évènements solaires ajoutent dans de rares cas une dose supplémentaire. L'aviation civile mondiale dispose d'un service de météorologie de l'espace qui fournit des alertes en temps réel. La France y participe par un consortium composé de Météo France et des sociétés CLS et ESSP à Toulouse ( & ). L'Observatoire de Paris, en coopération avec l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), fournit à ce consortium les outils d'évaluation des doses de radiation provenant des éruptions solaires. Les mesures des moniteurs à neutrons montrent que l'évènement du 28 octobre 2021 était trop faible pour une alerte, comme la plupart des évènements de ce type dans le passé.



Ejection de masse

Comme c'est souvent le cas, l'éruption solaire du 28/10/2021 était accompagnée d'une éjection coronale de masse, où une grande partie du gaz de la couronne solaire est éjectée dans l'espace, avec le champ magnétique qui le confine. Etant donnée la localisation de l'éruption près du méridien central du Soleil, on pouvait s'attendre qu'une partie de l'éjection de masse intercepte la Terre et perturbe son champ magnétique. La vitesse moyenne d'une éjection de masse associée à une éruption qui émet un rayonnement X comme celle du 28/10/2021 est d'environ 1000 km/s (Salas Matamoros & Klein 2015). Cette estimation, combinée avec un modèle empirique de propagation des éjections de masse dans l'espace interplanétaire développé par la NASA (Gopalswamy et al. 2001), prédit un temps de parcours d'environ 30 heures, donc une arrivée à la Terre vers 22 heures temps universel le 30/10.


On peut détecter l'arrivée d'une éjection de masse à la Terre par la perturbation qu'elle induit dans le champ magnétique de la Terre, mais aussi par la dépression du rayonnement cosmique provenant de la Galaxie: quand la Terre est entourée du champ magnétique de l'éjection de masse, le flux du rayonnement cosmique et le taux de comptage des moniteurs à neutrons baissent. Les deux figures ci-dessus montrent le taux de comptage des moniteurs à neutrons sur quatre jours, du 28/10 au 1/11 (figure du haut) et, par des barres colorées, le degré de perturbation du champ magnétique terrestre mesuré sur une échelle de 0 à 9. Le comptage des moniteurs à neutrons montre de nouveau l'évènement à particules du 28/10. Puis le taux de comptage retourne à son niveau initial quelques heures après. Il reste stable jusqu'au 30/10 vers 21 heures TU, quand une très légère dépression démarre. Les enregistrements du champ magnétique montrent également une petite perturbation, marquée par la barre orange, autour de 23 heures. Ces perturbations sont compatibles avec l'attente de l'arrivée de l'éjection de masse après un voyage de 30 heures partant du Soleil vers 16 heures TU le 28/10. Une deuxième perturbation du champ magnétique, associée à une deuxième dépression du rayonnement cosmique, intervient le 31/10 vers midi. Les perturbation magnétiques, comme les dépressions du rayonnement cosmique galactique, étaient très faibles.



Références bibliographiques

Gopalswamy N. Gopalswamy, N., Lara, A., Yashiro, S., Kaiser, M.L., Howard, R.A.: 2001, Predicting the 1-AU arrival times of coronal mass ejections, 2001. J. Geophys. Res. 106, 29207, DOI 10.1029/2001JA000177

Salas Matamoros C., Klein K.-L., On the statistical relationship between CME speed
and soft X-Ray flux and fluence of the associated flare, 2015, Solar Physics 290, pp. 1337–1353 DOI 10.1007/s11207-015-0677-0



Ouvrage sur les particules solaires de haute énergie

Malandraki O.E., Crosby N.B. (editeurs), Solar Particle Radiation Storms Forecasting and Analysis: The HESPERIA HORIZON 2020 Project and Beyond, 2018, Springer International Publishing (accès ouvert), DOI 10.1007/978-3-319-60051-2_1, https://doi.org/10.1007/978-3-319-60051-2_1